Ce jour restera gravé dans la mémoire de nous
tous.
Le soleil brille, la pointe du Capitole scintille
d’un blanc éblouissant. Le président des États-Unis d’Amérique monte sur la
tribune. Derrière lui la First Lady. Le vent souffle plus fort. Elle retient de
la main gauche son bibi bleu clair. Le président écarte une mèche de son front.
Tout est filmé par les 460 caméras de télévision
présentes. Plus de trois milliards de téléspectateurs sont assis devant leur
écran. Ce jour va devenir le plus grand, le plus inoubliable de l’histoire de
l’humanité. Car le leader de la plus grande puissance mondiale va dans quelques
secondes annoncer ce que tout le monde attend, de Tokyo à Tombouctou, de
Stockholm à Santiago du Chili.
Le président américain va annoncer le
remboursement des dettes publiques du monde entier, de toutes les dettes
publiques. Tout ce qui fut jamais émis sous des désignations comme bond, bill, loan,
emprunt, crédit de caisse ou bon du Trésor est remboursé hic et nunc par le
président américain. Par lui, pas seulement au nom les USA, mais au nom de
toutes les autres nations de la Terre aussi, dont les chefs d’État ont déjà tous
pris place à droite et à gauche de la « Tribune of Repayment », telle
qu’elle désignée dans le guide officiel.
Nous voyons Fidel Castro à côté de la reine
d’Angleterre, Gorbatchev à côté du chef d’État sud-africain Botha. Tous se
lèvent et saluent le président américain.
Les reporters sont nerveux. Ils ne savent pas de
quel côté ils vont venir. La longue file sans fin de semi-remorques avec leurs
containers, dans lesquels le « médium » est censé être stocké, cette
matière sublime à l’aide de laquelle le remboursement et l’amortissement
doivent être réalisés.
Le correspondant en chef de la centrale d’ARD en
Allemagne a calculé qu’il fallait au moins 2000 poids lourds pour transporter
le « médium », quelle que soit la coupure dans laquelle il sera
dépensé.
N’est-ce pas là un ruban aux couleurs de
l’Amérique, là à gauche de la tribune, que le président va bientôt découper,
afin de diriger le convoi vers la place de payement ? Là, les présidents
de conseil d’administration et directeurs généraux des 1000 plus grandes
banques de la planète se sont réunis en un grand demi-cercle, afin de procéder
à l’encaissement sous leur surveillance personnelle.
L’hymne du président est jouée. Un silence plein
d’espoir règne sur la grande place. Le dernier ordre d’un officier de garde se
perd au loin.
Le président des États-Unis d’Amérique fait un pas
en avant.
« People of the world, my fellow Americans,
God bless you ! »
Il commence à parler de la plus grande heure de
l’histoire de l’humanité. Une heure comparable uniquement avec d’autres heures où
de grandes et très grandes réformes furent réalisées.
« Les plus grandes réformes furent toujours
celles », le président a un chatoiement humide dans les yeux, « où le
poids fut enlevé de toutes les épaules. »
Ce poids, le poids le plus lourd qui ait jamais
existé dans l’histoire, doit donc être enlevé des épaules des gens aujourd’hui
encore.
« Aujourd’hui, vous serez enfin tous libre ! Enfin
et pour toujours ! Car aujourd’hui, la dette qui nous a tant accablé nous
et nos peuples, aujourd’hui elle s’éteindra enfin. Elle va être réglée – ou
disons-le dans the good and simple and sober American way –, elle va être
payée.
Les chefs d’État se lèvent et font éclater une
joie frénétique.
« Payement, payement, yeah ! »
La partie de la tribune des chefs d’État où sont
assises la plupart des excellences africaines s’effondre alors à cet instant.
Avec les Africains, les souverains norvégien et espagnol disparaissent dans les
profondeurs.
Mais voilà que se ranime la joie de l’autre côté.
Là où sont assis les grands banquiers. Le chef de la Citibank, à l’air toujours
aussi jeune, embrasse rapidement l’un après l’autre son homologue de la
Deutsche Bank et le numéro un du Paradeplatz zurichois. Le gouverneur de la Banque
d’Angleterre saisit furtivement sa flasque et ne cesse de murmurer, entouré de
l’odeur exquise d’un « Hine » 50 ans d’âge, « Cheers, cheers,
cheers ! »
D’un geste sacerdotal, l’écartement des deux
paumes de la main vers le ciel, le président parvient à rétablir le calme et à
se faire écouter.
« … Et tous les gourous répugnants et les
démagogues et les alarmistes qui n’ont cessé de prétendre que rien ne serait
remboursé, à eux tous, nous, les États de cette planète, nous allons leur
infliger un démenti ici et aujourd’hui. Car aujourd’hui, nous payons.
Maintenant ! »
Les 460 caméras filment le président en gros plan.
Le président met sa main dans la poche de sa veste. Dans quelques instants, il
va sortir les ciseaux et découper le ruban, afin que le convoi avec les camions
plein de « médium » puisse enfin se mettre en marche. Les grands
banquiers donnent l’ordre par talkie-walkie que les hélicoptères de fret décollent.
La main du président repose un moment dans la
poche de sa veste. Comme s’il cherchait quelque chose.
Voilà, maintenant.
On voit les doigts se fermer. Un poing ? Oui,
un poing sort de la poche. Le président étend le poing dans le baldaquin
couleur pourpre voûtée au-dessus de lui. Là, le poing. Rotation des caméras.
Le président descend maintenant le poing en
demi-cercle devant lui, bras tendu, à hauteur des yeux. Rotation des caméras.
La tension est insupportable. De loin, on entend
déjà le bruit des rotors. L’escadrille d’hélicoptères de Daiwa Securities est
apparemment à l’horizon.
Là. Oui. Là !
Le président ouvre lentement sa main. Devant ses
yeux étincelants, sa main est à présent plate. Quelque chose semble se trouver
sur la paume de sa main.
« Et maintenant, maintenant, peuples de la
Terre, maintenant nous payons. « Le président tourne rapidement la paume
de sa main vers le bas. Quelque chose jaillit brièvement et tombe. Devant la
tribune, il y a le sol en béton. Là, quelque chose roule là. Quelque chose de
jaune. Non, c’est de l’or.
Oui, oui, c’est de l’or.
Ne serait-ce pas une pièce d’or, pesant environ
une once ?
Oui, oui.
C’est une pièce d’or, pesant une once. C’est
exactement 31,1 grammes d’or fin qui, après avoir fait un tour en cliquetant,
s’arrête maintenant devant la tribune du président.
« Là », dit le président, et il montre
du doigt vers le bas, « là, là-bas, maintenant nous avons payé. Les États
de cette planète ont acquitté leurs dettes. »
Le reste de la cérémonie ne put plus être
retransmis. Des scènes bouleversantes ont dû avoir lieu. Surtout de très
nombreux banquiers londoniens, aussi les dirigeants de la grande finance
autrichienne et suisse, affreux. C’était tout simplement une panique.
La tribune des chefs d’État, qui était déjà de
plus en plus vacillante depuis la disparition des excellences africaines,
s’effondra totalement. Affreux, surtout les nombreuses cheftaines d’État, ce
qui était devenu très à la mode à l’époque, les cheftaines d’État. Effroyable.
En soirée, le Trésor des États-Unis fit connaître
la nouvelle parité-or : une once = 10 billions de dollars américains. Bien
entendu, le Trésor annonça également qu’à ce nouveau cours, il vend et achète
n’importe quelle quantité à n’importe qui.
Le monde a certes perdu la crème des cercles
bancaires et étatiques. Mais il avait gagné quelque chose d’extrêmement
important : un nouvel étalon-or.
© Dr. Paul C. Martin
Extrait et traduit de: Der Kapitalismus. Ein System, das funktioniert, pp. 429 ss.
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